Vacations de vocations.
Un message de Lucinette me fait réfléchir sur mon métier, mes choix et ma situation. J'enseigne depuis maintenant presque dix ans. J'ai eu l'occasion d'intervenir dans des contextes très différents, auprès de publics variés. J'ai toujours su m'adapter mais rarement je n'ai vraiment réfléchi à ce choix.
Fille d'insit', j'ai appris à lire et à écrire très tôt. J'ai lu mon premier livre à l'âge de sept ans et les Oui Oui et autres Félicie m'ont vite déçue, je me suis attaqué aux bouquins de ma mère. Je me souviens en particulier de Viou d'Henri Troyat. A mon entrée en classe de sixième, j'ai fait la rencontre de la femme qui allait être ma prof de français sur les quatre années à venir. Elle avait la réputation d'un dragon, rigoureuse et exigeante. Elle est très vite devenue pour moi un modèle et aujourd'hui encore, lorsque je doute quant à mes réactions ou mes méthodes de travail, c'est à elle que je me réfère. Elle a su faire naître en moi l'amour de notre langue, tant par sa richesse que par sa technique. Je pense souvent à elle. Elle est aujourd'hui à la retraite et est repartie vivre dans son Sud natal. Il y a quelques semaines, mon frère m'a annoncé la mort de son mari. J'ai envie de lui écrire pour lui dire tout ce qu'elle m'a transmis.
Après mes années au collège, je n'ai plus trouvé face à moi d'enseignants aussi passionnés et passionnants. J'ai eu mon bac au rattrapage, de justesse, plus intéressée à l'époque par les turpitudes de ma vie sentimentale que par un avenir professionnel lointain et flou. Puis je suis partie en fac, par la force des choses, sans vraiment savoir si c'était ce que je voulais, choisissant la spécialité "lettres" une fois arrivée devant le bureau des inscriptions. L'université a été une expérience originale. J'y ai découvert l'autonomie, la liberté et les joies du travail dans l'urgence. J'ai réalisé aussi quelle chance j'avais de pouvoir me contenter de très peu de travail grâce à des facilités de mémorisation et de compréhension. J'y ai rencontré des professeurs arrivistes et carriéristes, mais très peu intéressants. A l'exception peut-être d'un prof de littérature comparée qui a su éveiller en moi une certaine curiosité. C'est lui qui a dirigé mes recherches sur les années qui ont suivi et pour la petite anecdote, il vivait à une centaine de mètres du domicile de ma prof de français au collège, alors que ma ville universitaire se situait à une centaine de kilomètres.
Il a fallu songer à un moyen de financer mes études qui allaient tirer en longueur. Je ne voyais pas de concrétisation professionnelle aux abstractions qu'on me transmettait dans ces amphis bondés. J'ai trouvé en 1998 un poste dans un centre socio culturel, j'étais alors quotidiennement référente d'un groupe de sixièmes à la sortie de leurs cours. Ça a duré trois ans et j'ai cumulé ça à des cours particuliers: mes premières expériences d'enseignement. Puis, toujours étudiante, j'ai fais mes premiers remplacements pour l'éducation nationale : particulièrement déçue par ce que j'ai pu y découvrir, comme j'ai déjà pu le dire plus tôt, mais heureuse de m'en être rendue compte avant de foncer tête baissée vers un CAPES, alors considéré comme la voie royale, seule vraie porte de sortie pour une filière si abstraite. Tout ça, c'était parce qu'il fallait faire quelque chose et parce qu'être toujours étudiante me coûtait cher. Ce n'était pas une vraie vocation, je passais un peu à côté de ma vie professionnelle, mes préoccupations et l'essentiel étaient ailleurs. J'ai plongé dans cet univers par défaut.
Puis arrivée au niveau DEA, j'étais consciente que cette addition d'années d'études ne me mènerait concrètement à rien. J'ai été profondément déçue par l'attitude du jury de ma soutenance qui ne cherchait qu'à me faire poursuivre une thèse pour obtenir des subventions. J'ai alors passé un entretien professionnel par hasard, au lendemain d'une soirée aux Eurocks de Belfort, pas vraiment réveillée, sans réelle conviction et j'ai appris un mois plus tard que j'étais prise en tant que formatrice. Et sans l'avoir vraiment décidé, je suis passée officiellement du statut d'étudiante à celui d'enseignante. J'ai basculé dans un monde qui devait au départ simplement me permettre de subvenir à mes besoins et dans lequel je suis toujours aujourd'hui. Me voilà bien loin des idéaux de Lucinette qui faisait déjà la classe à ses peluches étant petite. Tout s'est fait simplement, sans que je n'aie jamais de choix à faire.
Aujourd'hui, j'aime ce que je fais, vraiment, et j'ai eu la chance de pouvoir toujours faire mes choix, ce qui n'aurait pas été le cas si je m'étais tournée vers un CAPES. J'enseigne de façon polyvalente, je jongle, je m'épanouis et j'y prends un vrai plaisir. Je gagne bien ma vie, mieux qu'un enseignant classique et j'ai la chance de pouvoir aménager mon emploi du temps. J'ai su trouver dans un univers qui n'était pas forcément le mien au départ un confort de travail et un véritable échange avec mes étudiants : les avantages sans les inconvénients. Malgré ce bilan très positif, je ne pense pas passer ma vie dans le monde de l'éducation. L'appel d'un projet qui me tient à coeur depuis mes quinze ans résonne toujours en moi : une ferme, des animaux, la nature, la convivialité, la transmission des savoirs, et pourquoi ne pas envisager, plus concrètement un jour, une formule qui me permettrait de cumuler mon rêve de toujours et mon métier actuel qui m'apporte une vraie satisfaction ?