Ne plus s'appeler Madame.
Blottie sous la couette, dans une chambre sombre et fraîche, volets mi-clos, à six cents kilomètres de chez moi, en fin d'après-midi : ça ne ressemble pas à des vacances et pourtant, qu'est ce que c'est bon ! Je n'en demandais pas plus. Dehors, d'impressionnants coups de tonnerre se succèdent depuis des heures, nous cloitrant à l'intérieur, comme des menaces pour tous ceux qui auraient voulu s'aventurer au dehors, grondements sourds qui prennent de la puissance sur les pentes des montagnes environnantes. Les projets de balade se sont évanouis dès midi. Par moment, des trombes d'eau bruyantes viennent rincer et écraser la nature, je les entends par la fenêtre ouverte, comme un souffle, et les rigoles des murmures se formant derrière lui, je laisse rentrer les courants d'air frais de l'été. C'est comme une journée de pause où toute fainéantise est autorisée. Tout doux d'être à l'abri, de savoir que demain le soleil reviendra, avec lui la chaleur des jours passés. J'observe Lucien roulé en boule dans son panier au pied du lit, sa présence me fait du bien. Je lis beaucoup depuis notre arrivée ici. J'ai dévoré hier en quelques heures le livre de Laurence Tardieu Puisque rien ne dure, et j'ai attaqué ce matin dans un prolongement de grasse matinée le merveilleux Gamines de Sylvie Testud. J'ai ri, seule dans mon lit, grâce à ses mots, et ça fait du bien. D'autres petits livres de poches piqués au hasard sur un présentoir d'un magasin grenoblois m'attendent sur ma table de chevet. Parfois, au détour de quelques lignes, je m'endors, pour me réveiller plus tard, sans importance accordée au temps. Descendre dans la cuisine, y boire deux gorgées d'eau, regarder la pluie dessiner des arabesques sur la surface de l'eau de la piscine, manger un abricot en pensant à autre chose, assise sur les marches en pierre de l'escalier. En oublier tout le travail de l'année, les urgences, les échéances, les formalités, les convenances.
Nous sommes chez les parents de Neb, comme depuis quatre ans, nous venons y passer une semaine au moins. Du temps pour lui avec sa famille. Mais cette année, sans doute n'allons nous pas rester trop longtemps. Depuis notre arrivée, notre présence semble plus gênante, pesante. Il y a comme un malaise. Ces conversations qui s'arrêtent net lorsqu'on rentre dans une pièce, les traits tirés de sa mère, son rapport si particulier à la nourriture qui nous culpabilise en permanence, une angoisse sourde que nous ne comprenons pas, des gestes brusques entre eux. Alors on rase les murs, on se fait discret, on s'éclipse dès que possible vers d'autres lieux, on fait en sorte d'alléger le poids de notre présence en rendant service, le plus possible... Et on prépare déjà les jours qui suivront plus loin encore, plus au Sud, plus libres. En espérant que le temps sera plus clément, parce que ce qui peut être drôle ici le sera sans doute moins sous une toile de tente.
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