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Diane Groseille
29 mai 2008

Mardi soir.

Je sors d'un conseil de classe et d'une bonne poignée d'heures de cours. Je me rends à mon atelier de théâtre, souffle de ma journée, de ma semaine. La ville est lourde, moite. J'ai attaché mes cheveux qui me collaient la peau. J'erre quelques minutes encore dans le quartier, j'aime cette ville, ma ville de jeune adulte, ma ville de huit ans, ses quartiers, sa vie, ses tensions, ses irrégularités. Je l'aime plus encore en été.

Je préfère arriver avant tout le monde, pour m'imprégner de la salle, cette immense bâtisse, ancienne église comme une grande dame, me reçoit à chaque fois comme une visiteuse particulière. Et j'aime savoir que moi et les autres, nous allons la faire vibrer deux heures durant. Ce soir là, le contraste est saisissant. La fraîcheur du dedans pince la peau. Je m'installe sur le coin de la scène, au sol, en tailleur. Je griffonne quelques éléments de structure du cours dans mon grand cahier rouge, ces mêmes éléments qui me trottent dans la tête depuis le matin, qui ont à chaque fois besoin de la journée pour s'organiser. Et je me réjouis à l'idée de ce dernier cours, de cette dernière joie avec eux, déjà un peu nostalgique, parce que même si cela reprend à la rentrée, ce ne sera jamais tout à fait pareil. Un resto est prévu juste après, parce que l'alchimie a opéré et que mon groupe est très soudé.

J. est la première à arriver. Elle s'installe sur le bord de la scène, nous échangeons quelques banalités à propos du temps et de je ne sais quels détails du quotidien. Puis arrive M., je l'avais croisé quelques minutes plus tôt, dans la rue, il m'avait dit tout ce stress qui avait rongé sa journée. Il s'installe près de moi, il sourit, il soupire. Je lui dis en plaisantant qu'il dégage de mauvaises ondes, qu'il doit respirer et se détendre, que le cours lui fera du bien. Il dit oui, qu'il attend ça depuis ce matin. Puis la fatigue semble le submerger. Il bascule en arrière, ses bras semblent avoir du mal à le suivre. Sa nuque d'abord se crispe et tout son dos. Je crois à une mauvaise blague de la part de l'apprenti comédien mais je réalise vite que ce n'est pas drôle. Je m'approche de lui, me place au-dessus de son visage pour l'interpeler mais il reste silencieux malgré ses yeux grand ouverts qui semblent tourner seuls dans leurs orbites puis se figent, sans me voir. Sa gorge se noue pour laisser échapper un râle effrayant et au même moment ses doigts se vrillent. J'aimerais le bouger, le déplacer sur le côté pour le protéger, mais il est sur le bord d'une estrade et il tomberait au sol. Le moment ne dure que quelques secondes. Une absence paniquante qui paraît s'éterniser. Tout à coup, ses yeux me voient en même temps que son corps se détend, et il me demande juste combien de temps il est parti. Il est très pâle et en quelques secondes il se couvre de sueur. Il me dit se sentir tellement bien, comme s'il avait dormi. On lui donne de l'eau, on le questionne, mais il est ailleurs. Les autres participants arrivent au compte gouttes. Ils ne le voient pas forcément, réjouis par ce qui les attend. G. qui est très jeune arrive en beuglant à qui veut bien l'entendre un résumé de ses épreuves d'options bac passées la semaine précédente. M. reste silencieux prés de moi tandis que le groupe se forme. Il rentrera chez lui après m'avoir promis de m'envoyer un message rassurant à son arrivée. Et je commencerai mon cours, avec cette angoisse sourde et lourde qui aura besoin d'une bonne demi-heure pour quitter mon corps.

***

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