Il est assis en face de moi: il parle, il parle, il parle. Il y a R. aussi. Ils m'ont passé un coup de bigo parce qu'ils étaient à une terrasse et avaient envie de me voir. Mais depuis que j'ai posé mes fesses sur la chaise en osier, il ne fait que parler, se plaindre, geindre, chouiner. A propos du boulot. Encore et encore. Quand je ne le regarde pas, il prend mon bras ou tape sur mon genou pour rappeler mon attention. Il parle encore. A propos de cette remarque que Tête de Briques lui a faite hier, à propos de l'incompétence du dirlo, à propos des collègues qui lui pompent l'air. Je regarde R. qui a la chance de ne pas être en face et qui peut donc rêver à son gré en regardant passer les dernières mouches déboussolées par la douceur de ce mois d'octobre. Il continue, parle trop vite, s'énerve parce que ça lui va bien, sort de grandes phrases, rit tout seul, méchament, puis tape encore sur mon bras parce que j'avais perdu le fil, je regardais les mouches de R. qui vidait sa troisième bière. Puis il rajoute encore "tu t'rends compte". Silence, je vais pouvoir en placer une pendant qu'il reprend son souffle. "Tu sais P., tout ça, ça me passe au-dessus, c'est pour ça que je ne mange plus là-bas et que j'ai pris mes distances, je ne veux pas me laisser pourrir par des futilités, alors dès que je sors du taf, je zappe... Et là, c'est mon jeudi après-m', je suis pas au taf, et j'aimerais bien zapper tu vois". Réponse illico de l'intéressé qui a respiré: "Ah non, mais tu sais, je me laisse pas pourrir non plus moi". Du tac au tac; "si, la preuve, et pourtant ça fait qu'une demi-heure qu'on est assis là". Sans doute été sèche, mais il commençait a empiéter sur mon temps de décompression, c'est sâcré!