"
La première fois que je l'ai vu, je l'ai trouvé insignifiant, ou
presque. Les seuls éléments que je retiens de son apparition dans la
salle de cours, ce sont ses feuilles volantes. C'était début octobre.
Il tenait contre lui un paquet de feuilles, nues, sans aucune pochette,
recouvertes d'une écriture fine et ronde. Il les a laissées choir sur
le bureau, nous a regardés, a souri et a dit :
«maintenant, la vraie vie commence ». C'était il y a trois
ans. Il avait tort. Ce n'était pas la vraie vie. Ce n'était qu'une vie
au conditionnel. Les factures à payer, le loyer et les petits jobs
minables, oui
Mais pas de vrai salaire, pas de reconnaissance, pas de
rythme de vie. Juste de la littérature. Une abstraction. Et pour lui,
c'était ça la vraie vie. Préparer ce concours. Faire partie des grands.
Maîtriser. Arrêter de penser que quelqu'un décidera à notre place.
Au
début, je l'ai trouvé prétentieux, trop sûr de lui et bien trop
exigeant par rapport à nous. Parfois même méprisant. Il aurait fallu
que l'on connaisse déjà tout pour lui inspirer un minimum de respect.
J'en venais à le haïr quand je passais mes soirées sur une étude de
texte. Son sourire me semblait en permanence chargé de moquerie et de
dédain.
Puis
en deuxième année, j'ai mieux cerné son attitude. La classe était moins
nombreuse. Beaucoup de ces jeunes demoiselles à qui tout était toujours
tombé tout cuit dans le bec avaient baissé les bras. C'est vrai que ça
représentait beaucoup de travail. Je n'avais pas de bourse. Alors je
cumulais les petits boulots. Animations commerciales. Baby-sitting.
Sondages. Prises de commandes par téléphone. Il fallait que je puisse
avoir du temps pour moi et juste suffisamment pour payer mon appart' et
de quoi manger. Je ne sortais plus. Plus du tout. Je lisais,
j'emmagasinais toutes ces données, toutes ces connaissances. Parfois un
roman pouvait être passionnant, me transporter, me fasciner. D'autres
fois, un essai pouvait me gâcher une semaine avant que je n'en vienne à
bout. Puis quand je voulais me détendre, je ne voyais plus rien d'autre
qu'un bon roman que j'avais cette fois choisi.
Il a fallu envisager de travailler sur le mémoire. Je voulais bosser sur du XX e siècle,
la notion de modernité aussi, mais je n'avais aucune idée quant au
sujet à traiter. Je me souviens avoir un jour discuté avec un ami
pendant une pause, cigarette au bec. Il m'avait dit que j'étais
inconsciente de partir sur du XX e, que j'allais me
retrouver avec Monsieur Bordeau comme directeur de recherche puisqu'il
était le seul à maîtriser ce siècle. Tant pis, je me suis dit, lui ou
un autre. Puis je savais que même s'il était désagréable, il imposait à
ses étudiants une certaine rigueur dont j'avais besoin. J'ai rapidement
décidé de travailler sur les nouvelles érotiques d'Anaïs Nin, sur ses
journaux et sur sa correspondance avec Miller. Quand je suis allée lui
présenter une première ébauche de mon hypothèse de travail, il s'est
montré odieux. Comme s'il ne m'avait jamais vue. « Vous êtes dans
quelle classe ? », « Je ne sais pas si je peux encore
accepter de prendre une étudiante
». « Vous vous y prenez
bien tard et votre sujet ne me semble pas très pertinent
». Cela
faisait deux ans que je suivais ses cours. Je n'avais raté que quelques
rares séminaires qui avaient eu lieu sur des week-ends et où je m'étais
vue obligée de travailler. Je me souviens être ressortie de son bureau
ce soir là démolie. Plus envie de continuer à en suer autant pour en
plus être traitée comme une moins que rien.
Une
semaine a passé. Mon téléphone a sonné un soir alors que j'étais
plongée dans un bouquin barbant au possible. Un vendredi. C'était lui.
Monsieur Bordeau. Sa voix au téléphone était calme. Je m'en souviens
comme si c'était hier. Elle ne résonnait pas comme en cours, solennelle
et creuse. Elle était chaude. Il m'a demandé, sans chercher à savoir s'i m'était
possible de passer le lendemain à son bureau pour reparler de cette
histoire de mémoire. J'ai dit oui, comme une imbécile et j'ai dû
annuler deux heures de cours particuliers pour m'y rendre. Les
couloirs étaient déserts et sentaient la javel. Le silence était
pesant. Je l'ai trouvé dans son bureau, il portait un pantalon de
velours brun élimé, recouvert d'un pull en coton bleu marine. C'est la
première fois que je faisais attention à sa tenue. Il m'a présenté une
chaise en annonçant mon prénom. Première fois aussi que je l'entendais
appeler un étudiant par son prénom mais je me suis dit que ce devait
être le privilège des étudiants qu'il dirigeait. Le ton qu'il a adopté
dès le début n'était en rien comparable à celui de notre première
entrevue. Il m'a mise à l'aise, m'a dit qu'il acceptait de me suivre
malgré les nombreux étudiants qu'il avait déjà à sa charge, car, il
avait réfléchi et mon sujet lui semblait être une bonne base pour un
bon travail d'analyse littéraire. Il m'a conseillé plusieurs pistes de
réflexion, m'a fait une liste d'auteurs et notre discussion s'est vite
animée autour de nos lectures que nous avions envie de partager. Il m'a
proposé de me raccompagner chez moi puisque c'était sur sa route et
qu'il était déjà tard. J'ai accepté.
C'est
là, à ce moment précis que notre relation prenait déjà une tournure
maladroite. J'ai été assez niaise pour penser, jusqu'à un certain stade
de cette complicité que tous les étudiants qu'il dirigeait avaient ce
type de relation avec lui. Plus qu'un simple rapport prof-élève. Les
choses sont allées très vite. Il me semblait normal qu'il me donne
rendez-vous en soirée. Je l'imaginais débordé et je pensais que c'était
le seul moment qu'il pouvait m'accorder. Cela me paraissait aussi
évident qu'il me ramène devant le pas de ma porte puisqu'il vivait à
l'autre bout de la ville et qu'il passait devant chez moi. Cela me
semblait professionnel aussi qu'il m'appelle à des heures tardives pour
me faire part d'une idée sur mon travail. Je me disais que nous étions
adultes et que tout cela était normal.
Ce
qui m'a mis la puce à l'oreille, la première fois, c'est une discussion
entre plusieurs personnes de ma classe perçue devant l'établissement
alors que je grillais une cigarette, agenouillée, dos contre un mur.
Ils se plaignaient de Monsieur Bordeau, de la façon dont il traitait
ses étudiants, du retard qu'il prenait dans la gestion des dossiers, de
ses absences répétées aux rendez-vous qu'il fixait, de son manque de
rigueur les derniers temps. J'ai eu envie d'intervenir, mais je me suis
dit que ça ne servirait à rien.
Deux
jours plus tard, je l'ai eu au téléphone. Il m'a dit qu'il avait un
déjeuner en ville avec trois de ses collègues et que je pouvais les
rejoindre vers quatorze heures pour avoir un point de vue différent sur
mon travail et sur son avancée. Le resto en question était juste en bas
de chez moi. Quand je suis arrivée, il était seul. Il m'a dit qu'ils
avaient des obligations ailleurs et qu'ils n'avaient pas pu rester.
Alors que je m'apprêtais à le saluer et à tourner les talons, il m'a
invitée à m'asseoir, pour prendre un café, sauf si j'étais pressée.
Je
me souviendrai longtemps de ce thé à la menthe. Il m'a dit « il
faut que je vous parle ». Le ton de sa voix m'a tout de suite
laissé comprendre qu'il n'allait pas me parler de mon travail. Ses yeux
étaient baissés. Il tripotait sa petite cuiller, nerveusement. Il a
rajouté « vous n'avez rien remarqué ? ». Non, je n'avais
sans doute pas voulu voir. Il est parti sur autre chose, il a dit qu'il
n'avait jamais voulu se marier, que ces objectifs avaient toujours été
essentiellement professionnels. C'est la première fois qu'il baissait
le masque. C'est la première fois que je voyais vraiment un homme et
non un prof. J'étais embarrassée mais émue aussi. Je savais bien
entendu où il voulait en venir, mais je l'ai laissé faire et parler.
Par curiosité. Alors que ses yeux n'osaient s'arrêter sur mon visage,
les miens le fixaient, insolents et pétillants. C'est en quelques
secondes nos rôles qui se sont inversés.
Puis
il en est venu aux faits. Jamais je n'aurais pu imaginer un tel
scénario. Il m'a avoué que depuis trois ans, depuis mes premières
heures de cours, mon image l'obsédait. Il m'a raconté à quel point
cette obsession était délicate à dissimuler. Qu'il ne voulait pas de
favoritisme, qu'il m'avait toujours traitée comme les autres, peut-être
même avec plus d'exigence encore. Que mon regard le fascinait, mes
mouvements, ma solitude, la façon dont j'avançais comme s'il n'y avait
rien autour
Que s'il n'avait voulu diriger mon travail, c'était bien
sur à cause de ça. Il savait que s'il acceptait, il en viendrait à ça,
irrémédiablement. Je n'ai retenu que ça. Mais il parlé durant de
longues minutes. Sans lever les yeux ou presque. En s'acharnant sur sa
pauvre petite cuiller toute tordue. Comme un gosse.
Puis
il y a eu un silence. Sans lever les yeux, il a demandé :
« vous êtes toujours là ? ». Oui, oui, j'étais là, sans
voix, troublée par ce nouveau personnage que j'avais en face de moi,
qui me semblait très courageux dans ce moment, très fragile aussi. Je
lui ai dit « oui, je suis toujours là, je ne sais pas quoi vous
dire ». Il a levé les yeux. Comme dans un moment d'éternité. Et
j'ai vu un regard que je n'avais jamais vu. Jamais il ne m'avait
regardée comme ça. Jamais il ne m'avait regardée en face en fait. J'ai
lu une attente dans ses yeux, une trouille, et un grand vide après tant
de confidences. Autour de nous personne. Et ces mots qui ne sortaient
pas de ma gorge. Je réalisais toute l'admiration que j'avais pour cet
homme, ce charme qu'il y avait derrière toute cette distance qu'il
s'imposait, je comprenais toutes ces ambiguïtés entre nous les
dernières semaines. J'aurais aimé lui prendre la main, que tout soit
soudainement facile, qu'il n'y ait plus cette barrière entre nous. J'en
avais une boule dans la gorge. Ce moment était figé. C'est moi qui
avais baissé les yeux.
Il
s'est levé. A dit « pardon » et très vite, sans que je n'aie
pu articuler un mot, est sorti, a tourné le coin de la rue, sa veste
encore à la main. Et j'étais là, assise sur mon silence, avec tant de
regrets, comme dans un rêve.
Ensuite,
pendant trois semaines, j'ai tenté de le joindre. Coups de fil. Petits
mots glissés sous la porte de son bureau. Même pas pour mon mémoire. Je
voulais lui parler. Je voulais lui donner cette réponse qui n'était pas
sortie. Silence de sa part. Rien. Certains de ses cours ont même été
annulés. Son aveu se retournait contre moi : son image devenait
obsédante pour moi, ses yeux durant ses confidences. Ce que je n'avais
jamais osé imaginer me hantait maintenant : son corps. Ses mains.
Ses cheveux. Je ne le percevais plus de la même façon. Il y avait
beaucoup de désir autour de cette image, beaucoup de curiosité aussi.
C'est
un soir, alors que je sortais d'un cours de théâtre, répétition
générale, maquillée comme une poupée russe, que je suis tombée sur lui
dans les couloirs sombres de la fac. Il devait être plus de vingt
heures, c'était désert. Je ne m'y attendais pas, il était devenu un
vrai courant d'air. Ses yeux m'ont dit tout de suite qu'il ne s'y
attendait pas non plus. « Je voulais vous dire
». J'ai voulu
parler trop vite, par peur qu'il ne m'échappe encore. Il a mis son
doigt sur ma bouche et c'est dans ce couloir, (où plus qu'ailleurs et
n'importe où il incarnait « le » prof) qu'il m'a caressé le
visage, et qu'il m'a embrassée.
Comment
décrire cette vague en moi ? Comment parler de cette fougue, de ce
creux dans mon ventre, de ce bonheur ? Sa langue est venue
s'enfouir dans ma bouche, son corps a vite été très proche, enlacé
autour du mien. Il y avait une urgence dans nos mouvements. Il a été le
plus raisonnable, il nous a séparés, il m'a dit « venez ».
Nous avons emprunté les escaliers tortueux qui mènent à son bureau,
comme des voleurs. Il a maladroitement déverrouillé la porte, m'a
laissée entrer et a jeté un il au dehors avant de refermer la porte
sur nous. Ma bouche était sèche et mes mains tremblantes. Je les ai
posées sur le bureau derrière moi pour retrouver un équilibre que je
perdais. Il me tournait le dos. Essoufflé, il était appuyé à la porte
qu'il venait de fermer. Tous deux cherchions une contenance. Une
échappatoire. Pour ne pas transgresser l'interdit. Dans ma tête ces
mots : « il ne faut pas, on ne devrait pas, après on ne
pourra plus reculer ». Comme dans ce restaurant quelques semaines
auparavant, le temps semblait s'être arrêté. Il s'est tourné vers moi,
lentement. Ses yeux ont trouvé les miens immédiatement. Il m'a
dit : « Je peux te dire tu ?». Cette question me
semblait si stupide. L'importance n'était pas là. L'urgence n'était pas
là. J'ai répondu « non ». La tension n'est pas descendue,
notre désir était alors palpable dans l'air. J'ai voulu le provoquer,
je lui ai demandé, alors qu'il gardait toujours ses distances,
immobile, à quelques centimètres de moi, combien de fois déjà, de
petites demoiselles influençables et admiratives s'étaient ainsi
retrouvées dans son bureau, le soir. J'avais dans la tête l'image de
papillons épinglés sur des panneaux de liège.. Je n'aimais pas son
hésitation face à ma question, j'avais simplement voulu le faire
réagir, pour mettre fin à ce qui devenait insoutenable. Sa réaction fut
inattendue. Il a levé la tête et son regard était triste et plein de
déception. Il a ouvert la porte derrière lui et m'a dit
« sortez ! ». Encore une fois, j'ai failli tout gâcher.
Je n'ai pas voulu laisser passer ce moment, je n'ai pas voulu partir.
Je me suis approchée de lui, si près que nos souffles se croisaient. Il
a attrapé ma taille et nos bouches à nouveau se sont trouvées. La porte
derrière lui a claqué et nos deux corps sont venus s'y coller. Alors
qu'il m'embrassait, sa main est allée tourner la clé dans la serrure.
Il sentait le cuir et le tabac. Une odeur d'homme. Je voulais me
blottir, je me sentais à mon tour fragile et offerte. Il a glissé ses
mains sous mon pull rouge, le long de mon dos, son avant-bras me
callant encore davantage contre son buste. J'ai fait de même, j'ai
trouvé sous sa chemise une peau chaude, réconfortante, douce et tendre.
Envie d'y mettre ma bouche, envie de m'y coller. Ses mains se sont
faites plus curieuses, glissant dans mon pantalon, découvrant mon sexe
humide. Plus rien autour, nos souffles très rapides, sa main qui se
fait caresse et qui amplifie ce désir déjà trop fort. Une fois de plus,
il s'est brusquement reculé. J'ai éclaté de rire car sa bouche était
couverte du rouge théâtral de mes lèvres. Je l'ai essuyé avec la paume
de ma main. Il a souri aussi. Puis il m'a regardé, tendrement et a
juste dit : « pas ici ». Sa voix était tellement chaude,
tellement différente, tellement rassurante. Il m'a expliqué ensuite que
s'il était là ce soir là, c'était à cause d'une réunion entre
collègues, histoire de budget. Qu'il fallait au moins qu'il aille
justifier son absence. Qu'il me rejoindrait chez moi. Dans peu de temps.
Je
suis sortie. J'ai couru dans les rues de ma ville. Pleine de bonheur,
de désir, de promesses pour les heures à venir
Arrivée chez moi, ce
soir là, j'ai fait le ménage le plus rapide de ma vie. J'ai changé les
draps du lit. J'ai attaché mes cheveux en chignon et j'ai pris une
douche très chaude en passant devant mes yeux clos les images de son
désir, ses mains sur moi, sa bouche. J'ai allumé quelques bougies.
Je suis restée assise dans un fauteuil, enroulée dans un pull en coton
trop grand et j'ai attendu. Quelques minutes plus tard, la sonnette
retentissait dans le vide silencieux. J'ai appuyé sur le bouton et par
la porte entrouverte, je l'ai entendu gravir à toute vitesse les étages
qui nous séparaient.
Je me suis retrouvée face à lui, comme pour la première fois. Mais c'était la première fois.
Je me suis crue un instant dans un film. Il me regardait, et je voyais
dans ses yeux qu'il avait mille choses à me dire, mais que les mots ne
suffisaient pas. Il m'a prise dans ses bras et toujours son odeur de
cuir si rassurante, si virile, si nouvelle pour moi. Il m'a juste
serrée dans ses bras. Tout le reste ne fut que sensualité. La naissance
de ce besoin que je n'aurais su imaginer.
Sa
main sous mon pull, rien que ma peau. Sa bouche, si proche de la
mienne, mais qui garde la distance. Pendant quelques minutes, nous nous
sommes embrassés avec les yeux. Puis il m'a soulevée. Mes jambes se
sont enroulées autour de sa taille et il a pris conscience de ma nudité
intégrale en callant ses mains sous mes fesses. Nous avons basculé sur
un fauteuil, puis nos corps ont glissé sur le tapis du salon. Nous nous
sommes trouvés vite. Ses doigts caressant mon sexe, avec fermeté, avec
rigueur, aucune douceur dans son geste, de l'urgence seulement. Sa
bouche dans mon cou et ses boucles qui viennent se perdre sur mon
visage. Son souffle. Je glisse ma main entre nos deux corps, déboutonne
son pantalon, trouve son pieu, dressé de désir, pour moi, à ce moment
là. Il n'y a, à nouveau, plus rien autour, rien que nos souffles et nos
peaux. Il me débarrasse de mon pull, se blottit dans ma nudité, me
renifle, frotte son visage sur tout mon corps, vient lécher mon ventre,
l'intérieur de mes cuisses, soulève mes jambes, sa langue passe sur mon
sexe, puis c'est sa bouche entière qui vient l'embrasser, comme il
avait embrassé ma bouche plus tôt dans les couloirs sombres :
profondément, longuement. Ses doigts me pénètrent, jouent avec mon
désir, sa main gauche creuse mon dos, soulève mon ventre, mes yeux se
ferment, il gémit, je laisse son plaisir rejoindre le mien. Il
m'embrasse encore et encore, jusqu'à me faire crier. A ce moment là, ce
n'est plus mon professeur, plus un instant, c'est un homme, juste un
homme, qui jusque là était si loin de moi. Je jouis alors que cette
pensée me traverse, sous sa langue et ses lèvres, entre ses mains.
Rapidement,
il vient s'allonger sur moi, son corps sur le mien, ses jambes sur les
miennes. Il prend mon visage dans ses mains, veut me parler mais ne dit
toujours rien. Je sens son sexe contre le mien, à l'entrée. Mes yeux
lui disent « oui » et il me pénètre, lentement. Il roule sur
le côté, m'enlace avec lui. Je me retrouve sur lui, lui toujours en moi
(plus fort, plus profond) et il me sourit, semble presque ému. Mon
bassin commence un va-et-vient, et nous faisons l'amour, tendrement,
avec les yeux aussi, mais sans aucun mot. Il pose ses mains sur mes
seins, en caresse les pointes, se fait plus violent, les attrape et les
malmène entre ses doigts. Il relève son buste pour attraper ma bouche,
je recule et il bascule à nouveau sur moi, me pénètre plus fort encore,
plus profondément, alors qu'il soulève mes jambes, plus vite aussi. De
plus en plus vite, je sens son sexe en moi s'activer, son corps sur
moi, qui excite ma peau, mes sens, ses gémissements, et les miens que
je ne peux retenir. Ses yeux droit dans les miens aiguisent encore ce
plaisir qui monte en moi. Il met un doigt dans ma bouche et je le suce
en fixant ses yeux, toujours ses yeux. Il vient y mettre sa langue et
ses gémissements de plus en plus prononcés ne s'étouffent pas et me
font savoir que comme moi, son plaisir va éclater. Il crie, je crie, et
ses bras me serrent si fort que j'ai du mal à retrouver mon souffle
quand cette bombe éclate en moi, dans mon sexe, dans mon ventre, dans
mon corps entier. Il m'a soulevée, m'a demandé où était ma
chambre et est allé m'allonger sur mon lit. Nous nous sommes enlacés.
Puis les mots sont sortis. Difficilement, mais il a su se confier. Me
dire son plaisir et son bonheur. A quel point tout cela était
inimaginable pour lui. La place que j'occupais dans sa vie sans le
savoir. Sa peur face à tout ça. Tout ce qu'il savait déjà de moi. Je
lui ai dit à mon tour. Ma surprise. Le plaisir que je venais de
partager avec lui. Ma déception lorsqu'il avait pris la fuite. Mes
doutes pour la suite. Le manque de mot à mettre sur une telle situation.
Nous
avons refait l'amour plusieurs fois cette nuit là. Tendrement.
Violemment aussi. Avec beaucoup de force, d'intensité. Même que parfois
ça me faisait venir des larmes aux yeux. Longtemps
je me souviendrai de cette première nuit, de ces instants magiques. Ce
ne fut que le début d'une longue histoire dont on aurait pu imaginer la
suite.
Ce
qui a suivi fut une période de grand bonheur. Nous passions des
week-ends ensemble, où nous alternions des corps-à-corps fusionnels et
des séances de travail pour mon mémoire. Je voulais que par rapport à
ça il garde ses distances. Il ne devait être que celui qui dirige et il
était en train d'influencer sévèrement mon travail. Ce n'était pas
juste, mais j'avais du mal à prendre du recul face à une situation si
singulière. Comment se dire alors « qu'est ce que les autres
feraient à ma place ? ». Il n'y avait pas d'autres.
J'allais chez lui aussi parfois. Il occupait un appartement très
masculin, très épuré, avec, forcément, beaucoup de livres partout. A
chaque fois que je me rendais chez lui, il me fallait respecter un
cérémonial bien particulier pour que personne n'apprenne rien de cette
relation. Je m'y rendais la nuit, après l'avoir prévenu, très tard et
m'assurais avant de sonner que personne dans les parages ne pourrait me
voir. Cette mise en scène à elle seule faisait monter en moi un désir
et une urgence que je comblais dès que j'avais passé le seuil de sa
porte en lui sautant dessus comme une enfant. Nos rapports étaient très
charnels, toujours, et je n'ai jamais senti une réelle routine
s'installer entre nous.
Je
me souviens de cette fois où, en sortant des cours, vers midi, où
l'envie, le besoin de le voir se sont fait très imposants. Je suis
montée dans son bureau avec l'impression que mes intentions et que mon
désir étaient inscrits sur mon visage. Je suis tombée nez à nez avec
lui qui m'a demandé très naturellement : « Vous me cherchiez
Mademoiselle ? ». Sa maîtrise m'avait désarçonnée. J'ai
finalement trouvé mes mots « je
Oui
Serait-il possible de vous
voir dans votre bureau, j'ai des questions à propos de mon mémoire
Je
sais que je n'ai pas pris de rendez-vous, mais si vous avez à faire, je
comprendrais
». Non, non, bien sur, il avait du temps à
m'accorder. Nous nous sommes faufilés dans son bureau, sans trop de
précautions puisque je venais de fournir un alibi. Nous avons ce jour
là fait l'amour comme des bêtes, en étouffant nos cris. Je me souviens
de mes fesses nues sur son bureau, de mon pull coincé sous mon menton
et de sa bouche en train de mordre un de mes téton alors qu il me
fourrait sauvagement, sa main maintenant mon dos.
C'est
arrivé une ou deux fois. Il avait toujours peur de ce que pourraient
penser les gens, ses collègues, les étudiants
Je lui ai expliqué à
plusieurs reprises que je m'en balançais des autres
Que de toute
façon, il me restait moins d'un an avant de changer de statut. Une fois
que je ne serai plus son étudiante, il n'y aura plus aucune ombre au
tableau. Et dans ses bras, je ne me sentais plus étudiante, j'étais
« femme », il était « homme » et il n'y avait plus
aucune barrière hiérarchique.
Puis,
le temps a passé. Cette complicité entre nous ne cessait de gonfler. Il
a bien entendu refusé de faire partie du jury lors de ma soutenance, ce
que ses collègues ont mal compris. Je ne sais même pas quel prétexte il
avait bien pu trouver. Puis je suis partie en vacances, avec une amie.
Elle m'a vite fatiguée, nous n'étions pas sur la même longueur d'onde
et il me manquait. Je suis rentrée plus tôt. Nous avons passé quinze
jours de cet été calfeutrés chez lui, à faire l'amour, au point d'en
avoir mal
Un
an. Douze mois. Nous avons été précis. C'est la veille de la répétition
générale de théâtre de l'année suivante qu'il me l'a annoncé. Je
n'avais rien vu venir. Il n'aurait pas dû. C'est lui qui était venu me
chercher et c'est lui qui me rejetait alors. Je n'ai pas pu l'accepter.
Nous étions dans un petit restaurant thaï, nous avions fait près de 60
kilomètres pour l'occasion, pour prendre moins de risques. Toute cette
mascarade commençait à me fatiguer, je trouvais ça ridicule. Mais je
n'avais rien vu venir. Il a pris ma main, l'a portée devant sa bouche,
a fermé les yeux. Il m'a dit avoir réfléchi, que ça lui faisait du mal,
mais qu'il ne pouvait pas faire autrement. Pour lui, même après, ça
représenterait trop de difficultés, il avait peur de toutes nos
différences, il voyait entre nous trop de charnel pour que ça puisse
devenir plus sérieux. Il a fini par dire « tu comprends, je suis
mort de trouille ». Non, non, je ne pouvais vraiment pas
comprendre. Je n'avais jamais vu tant de problèmes entre nous et je
pensais que cette soudaine exagération était futile. J'ai souri en me
disant que simplement il voulait m'en parler, mais il m'a répondu
« ma décision est prise ». J'ai quitté le restaurant dans la
minute et j'ai appelé un taxi que je suis allée attendre dans le bar
d'une ruelle adjacente, les larmes coulaient dans mon whisky.
Deux
jours plus tard se jouait la première de la pièce. Tous les membres de
l'option théâtre comptaient sur moi, j'avais LE rôle. Pour ma dernière
année, je ne l'avais pas volé. Mais je les ai appelés en début
d'après-midi, pour leur dire que je ne jouerai pas. Scandale. Dans la
demi-heure, trois d'entre eux étaient devant ma porte et ne se
laissaient pas parler tellement la situation était grave. Quand ils en
sont passés aux menaces, j'ai cédé. Je me suis rendue dans cet
amphithéâtre surchauffé, je me suis laissée maquillée, coiffée et
pomponnée, je me suis écoutée redire mon texte plusieurs fois
Puis
l'heure est venue, et je n'avais rien d'autre en tête que les mots
qu'il m'avait balancés au visage. Malgré cela, j'ai joué. Bien
paraît-il. En pilote automatique en fait. Je savais qu'il était là. Je
le connaissais trop. Quand les lumières se sont allumées après une
heure trente de spectacle, je l'ai vu, au troisième rang, debout, en
train d'applaudir, sans aucune expression. Rapidement, sans me changer
ni me démaquiller, je suis descendue le rejoindre. Il était sur le
point de quitter la salle. « Il faut que je te parle ». La
familiarité de mes mots, alors que tant de personnes gravitaient autour
de nous ne lui a pas laissé le choix. J'ai rajouté
« maintenant ». Il a acquiescé et je l'ai suivi. Nous sommes
descendus au sous-sol, où, dans un couloir sombre et bétonné. Je ne lui
ai pas laissé le choix. Mon corps est venu le bousculer contre un mur,
je me suis agenouillée et ai rapidement trouvé sa braguette dont j'ai
extrait son sexe que j'ai pris en bouche. Je l'entendais articuler mon
prénom, accompagné de « non »,
« arrête », « tu es ridicule ». Je sentais malgré
tout son membre raidir dans ma bouche, entre mes lèvres et j'adorais
cette sensation. Ses mains sont venues attraper des mèches de cheveux,
ses doigts glissaient sur ma tête. Je me suis dit que tout allait
repartir comme avant, qu'il allait être raisonnable. Il m'a soulevée,
m'a regardée dans les yeux et m'a dit « il faut que tu comprennes,
je ne voulais pas te blesser, mais ça n'ira pas plus loin, il y a
quelqu'un d'autre ». Et comme j'avais peur que ce soit la réponse
qui m'attendait, j'ai sorti de mon large costume de scène ce long
couteau que j'avais trouvé en coulisse et je le lui ai planté en plein
ventre, plusieurs fois me semble-t-il, jusqu'à ce que je ne vois dans
ses yeux que du regret, jusqu'à ce que je sois sure qu'il ait compris
que je ne suis pas ce genre de fille.
Ils
ont retrouvé son corps le lendemain. Ils n'ont jamais retrouvé ma
trace. Grâce à lui. Nous avions pris tant de précautions. Je n'ai
jamais su qui était l'autre. Très probablement une nouvelle étudiante,
qui a préféré rester dans l'ombre. C'était il y a huit ans.
Aujourd'hui, j'occupe sa place à l'université et j'évite tout contact
avec mes étudiants."