Je suis pourtant heureuse. J'arrive à vivre avec ça. Je continue à avancer d'un pas décidé. Je donne du volume à ma vie, quand même. Je ne me laisse pas écraser.
Début de semaine. Il est 17h26, je suis sur une voie rapide à 110 km/h. J'écoute Europe 1, sans écouter vraiment, Ruquier et sa bande expliquent que nos prénoms auraient une influence sur nos comportements, sur nos choix. Une truffe est en train de développer en disant qu'une fille qui s'appelle Clara par exemple aimera les crevettes et les cornichons parce que ça commence par la même lettre que son prénom. Je suis précisément en train de me dire que c'est complètement crétin quand je vois un camion devant moi, il arrive sur la voie opposée, de l'autre côté de la rambarde de sécurité : sa bâche bleue se détache et l'ensemble du contenu qui était maintenu en-dessous s'envole, des cartons, des palettes, des choses que je ne parviens pas à identifier, qui viennent s'échouer sur ma voie, à quelques mètres de ma voiture lancée à vive allure. J'ai juste le temps de me dire que tout ce fatras posé sur ma route a la taille de plusieurs êtres humains alignés, comme pour empêcher un ballon de rentrer dans un but. Il me faut faire un écart et je suis pourtant cernée. Coup de frein, la voiture à ma gauche passe en se faufilant sur la bande d'arrêt d'urgence et j'ai juste le temps, toujours à vive allure de la suivre. Essoufflée comme si j'étais le buteur qui avait couru depuis l'autre bout du terrain, je coupe la radio, je respire et je profite du paysage.
Plus tard dans la soirée... Je suis assise dans leur cuisine. Le gros chat roux est installé sur le coin de la table et nous regarde travailler, les yeux mi-clos. Nicolas, sous la lumière artificielle du plafonnier rature nerveusement pour la troisième fois la réponse sur sa feuille et me regarde avec ses sourcils froncés comme si c'était de ma faute. Il n'entend pas, bien sur, l'entrée fracassante de son père qui claque la porte derrière lui, semble jeter ses affaires dans le couloir et court à l'autre bout de l'appartement. Par contre moi, j'entends son père saluer les deux chats venus à sa rencontre, complètement gaga. Je constate aussi que le père qui nous entend pourtant dans la cuisine ne juge pas utile de venir saluer son fils.
Puis il y a ce jeudi matin, et cette journée qui a suivi. Les rêves de la nuit avaient été si forts que je n'arrivais plus à les dissocier de la réalité. Je dors trop, je dors bien. Alors que je vis trop vite et que je passe un peu à côte de moi-même. Il y avait de la tendresse ce jour-là dans les heures qui ont filé avant que je ne réalise qu'elle n'était qu'une vapeur de rêve.
Un autre jour, cette femme au téléphone, quelques minutes seulement. Elle a trouvé mes coordonnées sur le net et vient de monter une boîte de correction et de relecture. J'aime entendre sa voie/voix de l'autre bout de la France. J'aime l'idée que les quelques mots échangés l'aideront peut-être, donneront forme à ses projets.
Aujourd'hui, grand soleil froid et lointain. Les journées raccourcissent trop vite. Elles ne sont déjà que des parenthèses lumineuses. Il faut en profiter. Ça sent déjà la soupe de légumes et les clémentines. Nous sommes allés marcher dans les vignes jaunes. Il va falloir que je n'attende pas ce soir pour corriger les paquets de copies qui me restent...
J'ai envie d'expliquer tout le reste. Tout ce qui n'est pas dit et qui donne de l'abstraction à mes lignes, qui apparaît pourtant en transparence. Mais ces mots ne trouvent pas encore leur place. Ils viendront.
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