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Diane Groseille
29 mai 2014

Ecrire.

coquelicot2

Je voudrais vous parler, longtemps, avec des mots qui ne seraient pas seulement des mots, mais qui conduiraient jusqu'au ciel, jusqu'à l'espace, jusqu'à la mer. J'entends ce langage, cette musique, ils ne sont pas étrangers, ils vibrent autour, ils brillent autour, sur les rochers et sur la mer, ils brillent au centre des villes, même dans les yeux des passants.
Comment parler? Les mots de cette musique viennent d'un pays où le langage n'existe pas, où le langage est scellé, enfermé en lui-même, est devenu comme la lumière, visible seulement de l'extérieur. J'attends le moment, j'attends le moyen. Cela va venir, cela arrive peut-être. Au bord des nuages, comme sur une dune de sable, un petit garçon inconnu est assis et regarde à travers l'espace (...)
Il est assis dans le ciel, comme sur une dune de sable, devant la mer, devant l'espace, et il regarde. Qui est-il? Je ne sais pas encore. Il n'a pas de nom. Il n'est pas encore tout à fait né (...)
Il n'a pas encore de nom. Peut être qu'il n'en aura jamais. Peut-être qu'il est né avec la musique, un jour, la musique libre des mots. C'est un enfant mystérieux, un enfant qui n'appartient à personne (...)

Écrire seulement sur les choses qu'on aime. Écrire pour lier ensemble, pour rassembler les morceaux de la beauté, et ensuite recomposer, reconstruire cette beauté. Alors les arbres qui sont dans les mots, les rochers, l'eau, les étincelles de lumière qui sont dans les mots, ils s'allument, ils brillent à nouveau, ils sont purs, ils s'élancent, ils dansent ! On part du feu, et on arrive dans le feu.
Je ressens le désir du réel. Trouver ce qui existe, ce qui entoure, sans cesse dévorer des yeux, reconnaître le monde. Savoir ce qui n'est pas secret, ce qui n'est pas lointain, le savoir non avec son intelligence, mais avec ses sens, avec sa vie.
Je ressens ce désir de réel avec tant de force qu'il me semble parfois que tous les autre désirs s'évanouissent. Je voudrais ouvrir les portes, les fenêtres, abattre les murs, arracher les toits, ôter tout ce qui me sépare du monde.
Je voudrais vivre dans un endroit tel que je pourrais voir sans cesse la mer, le ciel, les montagnes. J'ai faim et soif de chaleur, de vent, de pluie, de lumière. Les villes des hommes me gênent, les mots de hommes me gênent. Ils font obstacle à mon désir comme s'ils dressaient un écran devant le monde. Je voudrais retrouver les pays où personne ne parle, les pays de bergers et de pêcheurs où tout est silencieux, dans le vent et la lumière."


J.M.G. Le Clezio, L'inconnu sur la terre

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Diane Groseille
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