La sagesse du Paternel.
"Pour bien gagner ta vie ma fille, tu devrais passer le CAPES"
Voilà dix ans que j'entends ça. Mon père, qui ne veut que mon bonheur, mon épanouissement, ma sécurité de l'emploi, mes vacances pour "quand t'auras des gosses, parce que t'as beau dire, ça va bien finir pas arriver" trouve toujours moyen de me caser sournoisement sa petite rengaine. Mais moi, j'en ai jamais voulu de ce CAPES après lequel tout le monde court. Les mauvaises langues diront que j'ai la trouille... Ou peut-être même que j'ai pas le niveau. Et bien, je vais vous dire une chose, ce qui me fait le plus peur avec l'idée de passer le CAPES, c'est... De l'avoir. Je suis désolée si mes paroles blessent ces pauvres bougres qui passent toutes leurs nuits sur des textes d'ancien français sans même savoir à quoi ressemble un élève de quatrième (et les hormones qui vont avec). Encore plus désolée pour ceux qui ont déjà perdu trois ans de leur vie, voire plus (et même que c'est sans doute pas fini) à essayer vainement d'obtenir le "précieux" qui vous envoie tout droit pour deux ou trois ans dans une banlieue charmante bien loin de vos amis, votre région, votre famille.
Puis c'est l'idée de "gagner sa vie". Je gagne de l'argent moi, pas de la vie. Ma vie, je vais pas dire qu'elle est ailleurs, mais elle a pas grand chose à voir avec mon compte en banque. Et d'ailleurs le paternel est bien placé pour le savoir, il est le premier à dire que l'argent, faut en avoir juste assez pour ne pas y penser. Après, ça devient tout de suite encombrant. Mes plus grands bonheurs n'ont rien à voir avec l'argent. C'est souvent les gens, mes élèves, mes amis. La lumière, la chaleur, un regard. Quelques graines qui poussent dans un pot. Là où je risque vraiment de blesser mes lecteurs, c'est en leur annonçant que de toute façon, je gagne plus qu'avec un CAPES.
Et je suis libre. Certes, quelques journées sont sans fin. Mais quel enseignant de l'éducation nationale peut prétendre à des journées de liberté quand bon lui semble, à un emploi du temps qu'il aménagerait lui même à sa guise, à deux mois de vacances en été, à des élèves qu'il choisit en fonction de leurs motivations, de leurs attentes...
Alors non Papa, je ne passerai pas le CAPES, même pas pour te faire plaisir.