Revenant.
Hier après-midi, autour de la table
familiale et de deux tasses de thé, j'écoute ma mère me conter les
dernières nouveautés. Mon portable qui sonne , alors que j'engouffre un
quartier de clémentine. Un numéro que je ne connais pas s'affiche. En
temps normal, je n'aurais pas décroché. J'aurais laissé l'inconnu
déposer un message sur ma boîte vocale après le pléonasmique "bip
sonore". [Il faudra d'ailleurs que j'explique le rapport conflictuel
que j'entretiens avec mon portable]. Mais hier, je ne saurais dire
pourquoi, j'ai décroché. J'étais assise, heureusement. Le Jules.
L'ex dans toute sa splendeur, celui qui a disparu de la circulation
sans donner d'adresse, sans même laisser transparaître un signe de vie.
Un ex un peu particulier malgré tout puisque pendant deux ans c'est une
complicité très forte qui nous a unis: une relation unique et magique
qui nous a permis de partager énormément sans jamais vivre ensemble, en
se faisant si peu de promesses, en ne faisant aucun sacrifice. Pas de
corde au cou. La liberté. Mais bien sur, il y a eu le revers de la
médaille. Une seule promesse cependant: être toujours là l'un pour
l'autre quoi qu'il advienne. Et il n'était plus là depuis plus d'un an.
Parti au bras d'une demoiselle qui préferait ne pas avoir ma tronche
dans le champ de vision. J'avais compris. Je n'attendais plus de
nouvelles.
Sa voix hier, naturelle, presque enfantine dans ses
intonations, me cloue sur place. Comme si je parlais à un fantôme. Et
pourtant c'est bien lui. Il est parti. A été muté en Bourgogne. Vit
seul puisqu'elle a repris ses études ailleurs. Mais ils se sont mariés
la semaine dernière pour éviter d'être loin lors des prochaines
mutations. Il me dit ça comme s'il me racontait ses achats de la
journée. Naturellement. Rien ne m'étonne vraiment en fait. Il avait
besoin de s'attacher, d'avoir ces cordes qui rassurent, comme s'il
avait jeté l'ancre.
Je l'écoute me raconter sa nouvelle vie si
différente. Je lui parle de moi, vite, une caricature de ma vie du
moment: le violon, la reprise des études pour la mention, le bahut, les
projets. Et il me dit cette phrase alors que je lui demande pourquoi il
m'appelle, si tard, comme ça. Il me répond qu'il devait toujours être
là pour moi, qu'il est toujours là. Je retrouve son monde, son univers
dans ses mots, sa chaleur, sa simplicité. C'est un ami qui reprend
position dans ma vie pendant une demi-heure. Lorsque je raccroche, il
y a comme un soulagement, une douceur, une caresse rassurante qui est
passée sur mon visage. Savoir qu'il est toujours là.