Le côté obscur du bureau.
Hier soir, première fois depuis des
années, je suis passée de l'autre côté du bureau. Ce que je me suis
sentie mal ! J'ai pourtant occupé pendant des années les bancs
d'écoliers, usé mes fonds de culottes, gravé les tables de mon nom
pour la postérité. J'ai résisté bien plus que la moyenne aux
soporifiques discours de profs. Même que le jour où on m'a dit que je
pouvais m'arrèter, j'ai continué. Je traîne toujours dans ses salles
qui sentent la transpiration, la réflexion et l'encre pour tableaux
blancs. Je ne suis plus du même côté du bureau. Et pauvre de moi, hier
soir, j'ai repris la place d'élève. Pas juste pour rigoler, pas par défi lancé par un élève cette fois.
Un réel objectif que je me suis fixé et sur lequel je m'engage pour
l'année. Des cours de langue qui vont me permettre de valider la mention FLE que
je passe par le CNED. Pour ce qui est du choix de la langue, j'en
parlerai plus tard. Abordons déjà l'énervement intense provoqué par
celle qui avait ma place habituelle. On ne peut être que critique quand
on connaît les ficelles.
Elle
est assise à son bureau. Elle
attend l'ensemble du groupe. Elle observe. Elle ne dit rien. Pas de
contact. Puis le cours commence, à la minute. Elle se présente, avec un
accent prononcé qui a son charme. Puis elle laisse chacun parler de soi
et présenter les raisons de sa présence ici. Jusque là, tout va bien.
J'attends la transmission du message. Je suis là pour apprendre, avide
de savoir et de connaissances. Il va lui falloir le tableau, elle
fouille les tiroirs du bureau et constate qu'elle n'a rien pour écrire.
Je lui prète un de mes feutres. Elle commence à gribouiller son nom,
qu'elle écrit dans sa langue. Elle continue à marmonner face au
tableau, on ne comprend rien. Elle se retourne, demande de répeter.
Personne. Elle continue. Elle aborde l'alphabet. Pas assez vite, pas
ordonné. Elle commence puis réalise que ce n'est pas la méthode la plus
claire, elle efface et recommence. Dix minutes plus tard, elle estime
judicieux de nous rajouter des lignes. Effectivement, ça change tout.
Elle barbouille avec ses doigts, essaye d'effacer avec la paume de sa
main, laisse de longues traînées noires, elle râle et recommence son
gribouillage. Le type à ma gauche s'énerve et rature son cahier tout
propre-tout neuf qu'il avait acheté exprès. Elle note des lettres à
côté de chaque signe, équivalent phonétique. Je lui parle de l'API,
dont elle n'a jamais entendu parler. Je tombe des nues: une prof de
langue qui ne connaît pas l'API. Je n'insiste pas car elle me regarde
méchamment. Je voulais juste faciliter les choses. Une heure et demi
comme ça. Arrive enfin la fin du cours. Elle nous annonce qu'elle ne
peut pas nous donner les photocopies dont elle nous parle depuis le
début parce qu'elle ne les a pas faites (bonne raison ceci dit). Une
fois que tout le monde file, elle
me redemande les raisons de ma présence qu'elle ne semble pas
comprendre alors que je lui ai expliqué clairement. Mon voisin qui est
en train de ranger ses affaires me regarde avec un grand sourire qui
dit "courage" et s'éclipse. Je lui réexplique mais elle ne comprend
pas. Je finis par me sauver, agacée et déçue. On va rire, je le sens...